RONNY DELRUE - FLACON DE NEIGE

30/01/2015 > 28/02/2015

Karel-
Ronny Delrue

C’est en 2001 que Jan Hoet invite vingt artiste pour le projet d’exposition Y.E.L.L.O.W qu’il organise dans sa maison familiale à Geel .
Pour ce projet, Hoet met les artistes en contact avec de patients psychiatriques.
De cette manière il attire le non-initié dans le monde étrange mais passionnant et poétique de la psychiatrie. Il croit dans le miracle de la création incontrôlée, de l’harmonie qui se niche dans le chaos, de la structure de l’esprit perturbé mais libre.
La relation avec l’art « établi » signifie non seulement un challenge pour l’artiste, mais surtout pour le visiteur, une invitation adressée à la société à rentrer dans le monde de la santé mentale.

Ronny Delrue est un de ces artistes qui fit partie de l’exposition. Cette expérience créative aura une influence sur le développement futur de son œuvre. Delrue rencontre à Geel quelques patients psychiatriques dont il trace le portrait de la manière approfondie qui lui est caractéristique. Karel est un des ces patients qui laissa une impression profonde sur Delrue. Il en fit différents dessins et peintures, dans lesquels on perçoit un échange subtile entre les deux personnes.

Pour l’exposition « Middle Gate Geel ‘13 », également sous la curatelle de Jan Hoet, Ronny Delrue reprend contact avec Karel. Il relance leur collaboration et travaille à nouveau à une série de portraits. Delrue photographie Karel et ces photos servent de support pour la poursuite du travail. Il en peint aussi des images agrandies sur des toiles de grand format, s’activant comme s’il concevait des portraits de figures d’état. Le portrait montre un personnage se tenant droit, dont les contours suggestifs décrivent la figure. Delrue ne prête aucune attention aux détails, mais s’attache aux codes du visage, aux traits soignés de l’être pensant.
Les peintures des photos concrétisent un instant figé, toujours remis en question. Cette répétition est révélatrice de la recherche, du tâtonnement, de la pesée du pour et du contre qui sont si propres à l’œuvre de Delrue. Ce questionnement constant de ses propres réalisations conduit ainsi souvent à des choix formels intéressants.


L’évolution la plus récente dans la recherche plastique de Delrue est la découverte du blanc. Cette « tabula rasa » font que les toiles renvoient plus que jamais à ses esquisses et à ses dessins, à la page blanche mais aussi aux éclairs aveuglants de l’appareil photo.
Delrue semble non seulement partir d’images trouvées ou recyclées, souvent marquées par une atmosphère poussiéreuse mais se dirige pas à pas vers la création à partir du rien.
Les taches qui jamais sont présentes par hasard, prennent en outre un aspect de boules : des motifs qui cachent ou laissent voir précisément, et qui par cela donne au visage une dimension plus intérieure.
Le portrait est anonyme : le personnage est rendu méconnaissable. De grandes taches sombres codent la lisibilité du visage, et ces mêmes taches se dispersent à l’arrière-plan, souvent jusque et sur le cadre. On dirait aussi bien que l’œil du spectateur est matérialisé sous forme d’éclaboussures, comme si les vraies taches aveugles étaient contrôlées par un regard inconscient. Ce sont des souvenirs qui, comme s’ils soulevaient une plaque sensible, seraient saisis et ressentis. Les boules symbolisent, juste comme les taches, la façon dont l’homme pense, et comment dans ce processus il peut se perdre complètement.

Quelque part dans ces évolutions souterraines il y a une certaine dispersion de l’artiste dans sa recherche mais aussi de l’artiste dans le sujet peint. Karel n’est pas simplement un personnage. Les questions mises en avant sont en fait liées avec une quête symbolique, une fouille vers le moi. Delrue dans sa série de portraits de Karel , représente le sujet comme un archétype : Karel le rêveur, Karel l’intellectuel, Karel le penseur, Karel le prisonnier de son propre monde.

Ronny Delrue essuya les plâtres pour la nouvelle destination du vieux bâtiment officiel dans le centre de Hasselt. L’ancien tribunal a connu une histoire particulièrement riche qui est encore visible et ressentie de nos jours. Le bâtiment étatique contient encore toujours les grands symboles du passé : la force, la justice, le savoir. Et les petits détails des traces du passé en sont toujours les témoins. Les charmes du vieil intérieur restent en grande partie intacts. Karel y a rassemblé les impulsions créatives de l’artiste. Les pièces contenaient les idées, les pensées, les convictions de l’artiste mais aussi ses doutes, qui subtilement ont débordés l’un sur l’autre. Le peintre avait réfléchi à l’utilisation des ces pièces : il laissa certaines d’entre elles ouvertes, d’autres fermées, créant ainsi un parcours passionnant au travers du labyrinthe du bâtiment, et en même temps dans la tête de l’artiste. Qu’est-ce qui se passe en fait dans la tête de l’artiste ? Qu’est qu’il s’y trouve ?

Non seulement jouaient les pièces le rôle d’espace d’exposition, mais le couloir formait un pont mental qui fouillait encore plus profond dans l’accrochage et la combinaison des œuvres choisies avec grande attention. Dans ces espaces « oubliés », Delrue a présenté des dessins qui révélaient le processus de pensée dans les traits de crayon en recherche sur le papier. Par cette promenade dans le passé les images réveillaient l’inconscient. Elle ne demandaient pas du tout un arrêt, mais venaient image après image à la vie.

Melanie Deboutte,
Octobre 2014