Ronny Delrue - Entre la terre et les nuages

12/09/2008 > 18/10/2008

Ronny Delrue

Entre la terre et les nuages


Un artiste doit se rêver. Peintre, dessinateur, sculpteur, céramiste, graveur et lauréat 2005 de la Biennale Internationale de la gravure de Liège, Ronny Delrue revendique le dessin, non seulement comme fil rouge de toute sa création mais surtout comme espace de liberté, surface mémoriale où le binôme contrôlé-incontrôlé se déverse dans un flux intarissable, une nécessité sans bornes. La pensée s’exprime, surprise et bousculée à chaque trait par l’imaginaire. A fleur de papier d’un journal intime, ces dessins aussi fragiles que sensibles constituent la boîte de Pandore, le portrait mental d’un artiste tourné vers les grands thèmes de la mémoire, cette pollution personnifiée par le Cerebriraptor qui gangrène nos cerveaux, ténébreux abîmes au creuset de la lutte entre l’instant et la durée.
L’identité et la manipulation de la pensée se retrouvent dans les héliogravures. Des visages, des corps s’effacent sous l’encre de Chine. Immortalisés par le photographe sur une dune, qu’ont-ils fait de ce bonheur, factice ou réel, d’un été à la mer ? Reprises dans des gravures monumentales sur base d’anciennes photographies trouvées sur les brocantes, ces histoires perdues dont plus personne ne voulait alimentent la série « Lost Memories ». Chacun y place ce qu’il veut, inscrit son propre récit. La construction s’opère sur la perte et la multiplicité des champs de lecture quand l’œuvre au noir passe devant la mémoire, comme le temps dévore la vie.
Rupture des dérives stériles du pilote automatique. Promenade intense sur les chemins de traverse. L’œuvre de Ronny Delrue s’appréhende dans la lenteur et l’intimité. Que ce soit les notes de pensées, un dessin à la main gauche, une sculpture mentale ou l’introspection des cris voilés en institut psychiatrique, chaque étape fertilise la suivante : en fin de compte, il s’agit de revenir à la peinture, cette facette majeure du dessein intérieur.
Au banquet des explorations de l’aliénation, alors qu’en l’atelier gantois s’hérissent déjà de grandes toiles aux couches profondes, voici que surgissent d’autres manifestations de ce langage dru, mémoire prolixe des tensions vulnérables. Alignés comme de nouveaux saints sous un globe de verre, d’énigmatiques enfants-bombes n’ont ni tête ni bras. Soldats du chaos, in capables de penser par eux-mêmes, ils constituent une menace, épée de Damoclès sur nos instants grappillés à la vie.
Grave et somptueuse, l’œuvre de Ronny Delrue n’est pas un simple jeu formel. Cette subtile magie touche chacun au plus profond de l’être, à condition de s’immerger dans un processus qui ébranle nos perceptions initiales. Visages et corps humains épurés jusqu’à la trace, rongés par l’oubli, les images mentales que délivre le plasticien belge rendent compte inlassablement du passage du temps, de cet instant fortuit qu’est la tragédie humaine, menacée de disparition entre passé et avenir.
A la Galerie Jacques Cérami, cet archivage se parcourt comme une incantation qui résiste à tous les soleils noirs. « Entre la terre et les nuages » lance un pont vers « Touching the Earth and the Sky » : à Hasselt (Z33), la prochaine exposition de Ronny Delrue révélera le fruit d’une introspection menée depuis plusieurs étés au Centre européen de la céramique de s’Hertogenbosch. Un appel au rêve, aux possibles du paysage poétique.

DOMINIQUE LEGRAND